lundi 22 décembre 2008

«Adieu mères» de Mohamed Ismaïl Le long chemin des Oscars



«Adieu mères» de Mohamed Ismaïl
Le long chemin des Oscars

Par Abdelhak Najib

Le dernier film de Mohamed Ismaïl « Adieu Mères » a fait le tour des festivals en 2008 avec une apothéose au Vatican et une projection devant le Sénat belge. Autour de l’immigration d’un grand nombre de juifs marocains dans les années 60, influencés par les services secrets israéliens, le réalisateur livre une lecture très juste de l’histoire, et propose une vision actuelle du conflit arabo-israélien en misant sur des valeurs humaines immuables. En course pour une nomination aux Oscars, le film pâtit du manque flagrant de soutien des responsables marocains. Eclairage.


Une nomination à l’Academy Awards aux USA pour empocher un Oscar ne dépend pas uniquement de la valeur intrinsèque d’un produit cinématographique. La machinerie hollywoodienne déboule comme un rouleau compresseur et écrabouille des centaines de films venus du monde entier sans être vus ni par la commission de présélection ni par le comité central des académiciens pour les nominations finales. Ceci sans parler de l’avant-goût des Golden Globe qui préfigurent la délivrance ultime à la fin de l’hiver à Los Angeles.
On l’a vu pour des films danois, suédois, russes, croates, serbes, africains, chinois ou japonais, faire son entrée dans la grande messe du cinéma américain est une affaire politique. Sans tapages diplomatique, sans forcing d’un lobbying bien rôdé, un certain cinéma du monde n’a aucune chance d’être projeté aux membres des commissions de sélection à Hollywood pour tirer son heure de gloire des oubliettes et s’affirmer dans le temple de l’industrie et du business de l’image. Pour rappel, des noms comme Lasse Hallström, Bill August, Istvan Szabo n’ont pas forcé la porte qui mène aux petites statuettes en tablant sur le hasard. Ce n’est pas là un jeu de carte ou une partie de poker. Il est question de mobiliser un gouvernement derrière un produit culturel. Les cinéastes cités plus haut auxquels il faut ajouter Idrissa Ouedraogo, Ousman Sembene, Abderrahmane Sissako, comme représentant d’un cinéma africain très actuel, au propos franc, poétique et largement planétaire, ont pour le pire des cas eu une nomination pour le meilleur film étranger avant de voir les portes de l’industrie à gros budgets leur ouvrir largement les portes du succès.

Implication nationale

Adieu Mères, qui n’est pas le premier film marocain capable de figurer dans les nominations, risque de voir cette chance unique lui échapper à cause de la léthargie des deux ministères de tutelle, qui se doivent de s’impliquer en priorité pour attirer l’attention sur le film marocain, lui assurer une large diffusion dans le monde et surtout convaincre les membres de l’Academy Awards de l’importance d’un film sur les juifs et les arabes, en ce moment, dans un pays comme le Maroc, à l’héritage judéo-arabe très riche. En dehors du Centre cinématographique marocain (CCM) qui a entrepris les démarches initiales pour que le film «Adieu Mères» soit nominable aux Oscars en réunissant une commission, composée des professionnels et des critiques de cinéma, au centre cinématographique marocain à Rabat pour choisir le film de Mohamed Ismaïl, conformément aux critères établis par l'Academy of Motion Picture Arts and Sciences, aucune autre action n’a été mise en place pour soutenir un film marocain qui a toutes les chances de figurer sur la liste des meilleurs films étrangers à Hollywood. Les arguments ne manquent pas pour persuader les plus sceptiques : un sujet fort et actuel sur une thématique brulante dans l’histoire du conflit arabo-israélien ; un traitement juste dans une cinématographie très correct ; de la sensibilité, beaucoup de recul et un message de paix, de tolérance, de fraternité et de conciliation. L’histoire de ces deux familles, marocaine musulmane et marocaine de confession juive, déchiré par les magouilles des services secrets de Tel-Aviv dans les années 60, filmée avec à propos et une grande efficacité, s’est déjà positionnée dans les dizaines de festivals où on a pu la voir comme « l’un des films les plus poignants sur l’amitié entre musulmans et juifs dans un pays de grande tolérance comme le Maroc », comme le souligne un membre du sénat belge lors de la projection du film à Bruxelles. Toute la force du film tient dans son sujet, comme l’a remarqué l’un des responsables au Vatican, le père Federico Lombardi : «C’est un film qui pose un problème et en résout de nombreux autres. C’est une grande leçon de courage et d’amour au-delà des confessions ». L’audace est d’avoir créé ce débat en Europe sur la question du conflit séculaire entre arabes et juifs, tenter cette approche qui cherche au-delà des faits actuels leurs contingences historiques et surtout apporter une solution par le réel échange humain, d’individu à individu comme c’est déjà le cas pour de nombreuses causes et problématiques entre Palestiniens d’un côté et Juifs de l’autre. Faire une analyse du passif d’une lourde histoire de guerre en la transplantant dans le double drame de deux destins humains à très petite échelle, inscrit le film marocain dans la lignée des réflexions par l’image propres au cinéma du Sud qui posent des questions sur le rôle de la propagande, de l’idéologie de tous poils et autres magouilles politiciennes qui souvent portent des états à la ruine. Le seul film africain et arabe de l’année susceptible de figurer en bonne posture pour les Oscars vient du Maroc, et fait curieux, à deux reprises, la ministre de la culture du pays, Touria Jibrane, n’a pas daigné assister à la projection du film, delà à le défendre, il ne faut pas s’attendre à des miracles. Et c’est cette frilosité à l’égard d’un film traitant de juifs marocains qui pose aujourd’hui problème pour beaucoup d’officiel. Alors que les choses sont simples : le gouvernement marocain est sommé de défendre un pur produit de sa propre culture sur un sujet cent pour cent marocain. Les fausses-vraies distinctions entre juifs et marocains relèvent d’un archaïsme intellectuel qui a rendu l’âme. Dans un Maroc d’idées progressiste, il est même honteux de soulever de telles questions éculées et historiquement dépassées par la propre Histoire nationale. Reste qu’un coup de pousse de la diplomatie, des ministères de la culture et de la communication peuvent faire basculer la balance en faveur d’une belle image d’un Maroc de Culture universelle, riche de son histoire, de son héritage judéo-arabo-berbère, une réelle marocanité inscrite dans la longue luttes des peuples pour l’ouverture, la tolérance et la véritable paix, celle de l’esprit et l’absence de tous les clivages. Adieu Mères a au moins cette possibilité d’ouvrir le monde sur un Maroc résolument tourné vers l’avenir, qui a pris acte de son passé et qui joue son véritable rôle de fédérateur d’idées et de cultures.

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